La frontière entre les périodes de paix et de violence est de plus en plus floue
Perrine Benoist est directrice de la réduction des violences armées à HI. Elle explique les évolutions du déminage, 25 ans après la signature du traité d'Ottawa contre les mines.
Une démineuse travaille dans la zone de Chaparral, en Colombie, où les équipes doivent régulièrement faire face à des inondations, des éboulements ou des glissements de terrain. | © J. M. Vargas / HI
Comment le déminage humanitaire a-t-il évolué ces dernières années ?
Les contextes dans lesquels nous travaillons ont changé. Il y a vingt ans, les experts en déminage commençaient à travailler à la fin d’une guerre, après la signature d'un accord de paix. C'est plus compliqué aujourd'hui : la frontière entre les périodes de paix et de conflit est de plus en plus floue ; les armes sont plus sophistiquées et leur impact est dévastateur. Nous travaillons dans des situations complexes et instables. La technologie et la méthodologie utilisées par les démineurs ont également évolué pour répondre aux besoins et limiter au mieux le nombre de victimes des restes explosifs.
Comment décririez-vous ces nouvelles situations ?
Au Yémen, en Libye, en Syrie, où des conflits sont encore en cours, les opérations de déminage ou de "décontamination", qui consistent à ramasser les bombes ou les restes d'explosifs non explosés, visent à sauver des vies et à rendre les communautés plus sûres. Elles les aident également à s'adapter à des environnements dangereux, parfois délibérément piégés, à prendre conscience de l'impact psychologique, social et économique des bombardements, de la guérilla urbaine et des pièges.
D'autres pays - le Liban, la région du Mékong, la Colombie, etc. - sont parvenus à une paix durable, mais la contamination par les mines et les restes explosifs de guerre entrave le développement, parfois plus de cinq décennies après la fin des hostilités. Les experts en déminage humanitaire - comme HI au Liban, au Laos et en Colombie - travaillent à la restauration des terres et des infrastructures afin de faciliter la croissance économique.
Plus largement, le déminage humanitaire permet d'atteindre les objectifs de la Convention d'Ottawa pour un monde sans mines d'ici 2025, et de délivrer les États signataires de la contamination, comme HI l'a fait avec succès au Mozambique et au Nord Liban.
HI se concentre actuellement sur ces activités au Sénégal et au Tchad. Le déminage dans ces pays permet également d'éviter le détournement d'engins explosifs ou d'armes usagés par des groupes armés, qui parfois les récupèrent, les revendent et les réutilisent.
Quelles sont les caractéristiques spécifiques du déminage humanitaire ?
Le déminage "militaire" vise souvent à ouvrir des routes et des pistes sans tenir compte des besoins de la population. En tant qu'experts en déminage humanitaire, nous travaillons main dans la main avec les populations locales. Nous demandons aux communautés ce qui est socialement et économiquement le plus utile pour elles, comme des terres agricoles, un pont ou une route principale, ou encore une place de village utilisée quotidiennement par la communauté locale. Dans notre rapport sur la contamination en Irak, publié en octobre 2021, de nombreux témoignages révèlent que les accidents se produisent souvent parce que les habitants n'ont pas d'autre choix. Un petit agriculteur, par exemple, savait que des pâturages étaient contaminés mais a pris le risque de les utiliser parce qu'il n'avait aucun autre moyen de nourrir sa famille. Il est important de comprendre l'impact total de la contamination. La contamination par les restes explosifs
La contamination par les restes explosifs de guerre a un impact humain, psychologique, social et économique. Les champs contaminés ne peuvent plus être cultivés, les marchés ne peuvent plus être tenus et les gens sont moins à même de se déplacer d'un village à l'autre car le voyage est dangereux. Les quartiers ont été rasés et les liens sociaux détruits. L'action sur les mines et les restes d'explosifs est un premier pas essentiel vers la reconstruction des communautés.
Le déminage évolue de plus en plus vers la "transformation des conflits". En quoi cela consiste-t-il ?
La neutralisation des armes, la sensibilisation des communautés à risque, l'assistance aux victimes, l'analyse de l'impact des conflits et de la présence d'engins explosifs, ainsi que la fourniture aux communautés d'alternatives pour répondre à leurs besoins essentiels (emprunter un chemin alternatif à un chemin contaminé, puiser de l'eau sans utiliser un puits piégé, etc.) sont des activités essentielles et contribuent à "transformer" une situation de conflit en une paix durable. Mais pour mettre fin à un cycle de violence, il faut aussi en comprendre les causes.
C'est pourquoi nous visons à aider les communautés à reconstruire leurs relations et à soutenir un comportement pacifique pour favoriser la réconciliation dans les situations de conflit.
Quelle est l'ampleur du problème des mines improvisées ?
Le rapport de l'Observatoire des mines 2021 a enregistré un total de 7 073 victimes de mines/restes explosifs de guerre en 2020, soit 20 % de plus qu'en 2019. Les mines improvisées ont représenté le plus grand nombre de victimes, soit un tiers des victimes, pour la cinquième année consécutive. Il s'agit d'un problème à grande échelle et d'un défi majeur pour les experts en déminage.
À quoi ressemble une mine improvisée ? Elle peut prendre de nombreuses formes, et c'est là le cœur du problème. Certaines ressemblent à des jouets, par exemple, et peuvent être reliées à une bonbonne de gaz déclenchée par un câble tendu à l'entrée d'une maison. Ces dispositifs peuvent être extrêmement astucieux et sont conçus pour terroriser et piéger la population locale. Les moteurs explosifs, déclenchés par leur victime, font partie des dispositifs interdits par la Convention d'Ottawa.
Les techniques de déminage ont-elles évolué au cours des deux dernières décennies ?
Les techniques de base sont les mêmes, mais les techniques de déminage humanitaire sont devenues plus innovantes ces dernières années Depuis 2019, HI a développé l'utilisation de drones pour soutenir les experts en déminage en identifiant les dispositifs suspects depuis des altitudes plus élevées et en aidant à cartographier des zones étendues. À l'avenir, nous prévoyons de tester des caméras embarquées. Grâce à des caméras GoPro fixées à l'équipement de déminage, un expert en déminage peut guider et conseiller à distance son partenaire sur un site de déminage. Cela est particulièrement utile dans les zones contaminées par des engins improvisés, car il est plus difficile de les sécuriser et ils représentent donc un plus grand risque pour nos équipes.